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Le recrutement de consommateurs en autoconsommation collective

Le mardi 24 juin 2025, à l’occasion de la Journée de l’autoconsommation collective, Enogrid a réuni 4 spécialistes du recrutement de consommateurs autour d’une table ronde. Arthur Jouannic (Animergy), François Guérin (SeeYouSun), Jean Charles Dallet (Enogrid) et Hubert Remillieux (ÉnOTéA) ont partagé leurs retours d’expérience et leurs bonnes pratiques avec les nombreux porteurs de projets présents. À leurs côtés, Sylvie Maurand (Enedis) a présenté les outils développés par le gestionnaire de réseau pour simplifier cette étape clé des projets.

 

Alors que l’autoconsommation collective change d’échelle et que les projets gagnent en puissance, le recrutement de consommateurs devient un enjeu clé, donnant naissance à de nouveaux métiers, méthodes et outils logiciels.

Recrutement autoconsommation collective JACC 2025
Photographie de la JACC 2025. De gauche à droite : Laura Taouchanov (journaliste), Arthur Jouannic (Animergy), Jean-Charles Dallet (Enogrid), Hubert Remillieux (ÉnOTéA), Sylvie Maurand (Enedis), François Guérin (See You Sun).

Recrutement : un processus progressif, entre bouche-à-oreille, ancrage local et pédagogie

L’efficacité du recrutement de consommateurs en autoconsommation collective varie beaucoup selon les projets. Il peut être rapide ou s’étaler dans le temps, en fonction du modèle économique du projet, du territoire ou du niveau d’implication des acteurs dès la phase d’étude.

 

Jean-Charles Dallet, d’Enogrid, a accompagné des dizaines de projets dans leur recrutement. Il explique que selon le modèle économique du projet, le recrutement ne nécessitera pas le même niveau de mobilisation : « Quand le projet bénéficie de subventions publiques, on a moins de pression : il n’est pas nécessaire d’atteindre un taux d’autoconsommation élevé dès la mise en service, ce qui nous permet de recruter progressivement. Le bouche-à-oreille est alors un levier très puissant : les voisins discutent entre eux, et les consommateurs rejoignent le projet au fil de l’eau. À l’inverse, si le modèle économique du projet ne repose que sur l’autoconsommation collective, sans subventions, on doit viser un taux d’autoconsommation d’au moins 70 % pour obtenir un financement bancaire. Dans ce cas, le recrutement doit être rapide et massif. La stratégie dépend donc entièrement de la structuration du projet. »

 

Pour Hubert Remillieux, d’ÉnOTéA, bien anticiper le recrutement dès la phase amont du projet est important : « Plus on est inscrit dans le projet en amont, plus le recrutement est simple. On a développé un vrai processus : d’abord, on sollicite les gens du premier cercle — les partenaires directs, les voisins proches. Ce sont les plus faciles à embarquer. Ensuite, il faut aller plus loin, affiner les arguments, déployer une approche plus commerciale. Sur certains projets qu’on suit depuis longtemps, on observe un vrai effet domino : ‘’il l’a fait, ça marche, il est content, donc je m’y mets aussi’’. Mais c’est du recrutement qui prend plus de temps. »

 

Chez See You Sun, l’approche est territoriale et partenariale. En effet, ils développent leurs centrales photovoltaïques au cœur des villages, afin de rapprocher production et consommation et d’en faire bénéficier les acteurs locaux. Comme l’explique François Guérin : « Nos opérations sont portées en partenariat avec les collectivités et les entreprises locales. On avance avec un concept : la ville solaire. Le premier PDL de nos centrales photovoltaïques, c’est celui de la collectivité. Ensuite, on répartit l’électricité à l’échelle du quartier. Et surtout, on cherche à susciter l’envie : que chacun produise un jour ses propres électrons sur son toit. Alors on dialogue avec les unions de commerçants, les collectifs d’entreprises, les associations… Un tissu local souvent un peu “dormant” qu’on réveille grâce à la pédagogie. Acheminement, TURPE, TICFE, accises… On essaie de simplifier tout ça, de le rendre accessible, et de donner envie de rejoindre l’autoconsommation collective. »

Les freins au recrutement en autoconsommation collective

Recruter des consommateurs pour un projet d’autoconsommation collective implique un travail de terrain parfois exigeant, encore jeune dans sa structuration. Arthur Jouannic, d’Animergy, en dresse un constat lucide :

 

« Aujourd’hui il y a encore 3 freins au recrutement :

      • Le premier frein, c’est qu’avant ce métier n’existait pas. D’habitude, c’est plutôt un métier de commercial, mais nous avons fait le choix de former des ingénieurs.
      • Le second frein, c’est qu’il faut dédier beaucoup de temps au recrutement. Sur 15 contacts, seulement 10 vont décrocher, et 3 vont être intéressés. Sur 1 mois, on va passer une journée et demie de travail dédié à la recherche de consommateurs (avant de passer aux relances et à la préparation des contrats de vente d’électricité).
      • Le dernier frein, c’est que c’est parfois déprimant de faire face à autant de refus. D’autant plus que les prix de l’électricité sont bas en ce moment. Mais sur la plupart des zones où il y a du démarchage, des gens vont être intéressés. Il faut un peu de chance, mais il faut aussi savoir la provoquer»

Célébrer les réussites pour rester motivé

Alors pour entretenir la motivation de l’équipe, Animergy a mis en place un rituel original :
« On a installé un gong dans les bureaux. À chaque nouvelle signature, on le fait retentir ! C’est l’occasion de raconter comment le recrutement s’est passé, de réfléchir ensemble à ce qui a fonctionné. C’est un moment collectif, qui redonne de l’énergie. Puis, quand on appelle le producteur pour lui annoncer qu’un nouveau consommateur rejoint l’opération, c’est aussi un moment fort qui valide notre sentiment de faire avancer l’autoconsommation collective. Dans quelques mois, on passera à la phase de gestion : envoi des factures, suivi de consommation… Mais d’abord, on célèbre ! »

Adapter le discours selon le profil des consommateurs

Jean-Charles Dallet, d’Enogrid, insiste sur l’importance de la pédagogie dans le recrutement de consommateurs en autoconsommation collective. Le discours doit être adapté au profil du consommateur, car les leviers d’adhésion ne sont pas les mêmes.

      • Par exemple, ce qui intéresse le plus les particuliers, c’est l’aspect inclusif : ils peuvent accéder à une électricité verte, locale et moins chère, sans avoir à investir dans des panneaux solaires. Il faut aussi mettre en avant que le parcours d’intégration n’est pas compliqué : 3 documents à signer, aucuns frais d’entrée.

      • Avec une entreprise, on utilisera plutôt des arguments économiques et stratégiques. La possibilité de s’affranchir de la volatilité des prix du marché de l’électricité est un point clé. « On a vu beaucoup de petits commerçants, comme des boulangers, mis en difficulté pendant la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Ils ne pouvaient plus maintenir leur rentabilité face à la flambée des prix de l’électricité. Ils se souviennent toujours de cette période de difficulté. Donc la possibilité de fixer les prix, c’est plutôt ce qu’on va mettre en avant. »

      • Pour les entreprises engagées dans une démarche RSE, il y a aussi le bénéfice environnemental : l’autoconsommation collective leur permet de réduire leur empreinte carbone grâce à une électricité locale et décarbonée.

      • Pour certaines PME, l’ancrage local est important. Dans ce cas, il peut être intéressant de mentionner le développement de leur image et d’insister sur leur rôle dans la transition énergétique du territoire. Leur engagement peut être valorisé sur les réseaux sociaux.

Pour convaincre, les ingénieurs d’Enogrid participent souvent à des réunions d’information permettant d’échanger en direct avec les futurs consommateurs. Comme en témoigne Jean-Charles Dallet : « On passe environ 2 heures avec les particuliers intéressés par le projet : une première partie de présentation pour expliquer les économies sur la facture, puis au moins 1 heure de questions-réponses. En fin de réunion, on entend souvent : “Ah mais en fait, l’autoconsommation collective ce n’est pas si compliqué que ça, il n’y a pas d’arnaque, et c’est intéressant.” »

Le scepticisme est compréhensible. L’autoconsommation collective est un modèle encore peu connu, qui touche aux factures d’électricité, dans une période où les démarchages abusifs sont nombreux. Il y a donc une méfiance initiale, qui s’estompe après des explications transparentes, surtout en face-à-face. Ainsi, les réunions d’informations des projets représentent d’excellents moyens de convaincre et de faire adhérer des consommateurs aux projets.

Personnages concrétisant une opération d'autoconsommation collective

Vendre sans survendre pour recruter efficacement en autoconsommation collective

Recruter des consommateurs en autoconsommation collective, c’est avant tout un exercice de communication adaptée, qui nécessite de se différencier des démarcheurs classiques. Arthur Jouannic d’Animergy partage son expérience de terrain : « Lorsqu’on appelle un consommateur potentiel, on a 10 secondes pour ne pas être perçu comme un démarcheur classique. L’enjeu, c’est d’être immédiatement identifié comme quelqu’un de positif, de sincère. Il faut avoir le bon argument dès le départ. Ensuite, il y a souvent un filtre à l’accueil (un secrétariat) qui empêche de parler au décideur. Là, il faut être humain, agréable, parfois même drôle. Préparer une petite blague peut désamorcer la méfiance. Ce n’est pas un robot en face, c’est une personne. Il faut se distinguer de l’IA ou de quelqu’un qui appelle sans préparation. »

 

Une fois le premier contact établi, il faut adopter une approche personnalisée, sans survendre les bénéfices de l’autoconsommation collective. En effet, nous aurions tendance à vouloir tout de suite mentionner les économies sur les factures d’électricité permises par l’ACC, mais celles-ci ne sont pas certaines, comme l’explique Arthur Jouannic : « Tant qu’on n’a pas vu la facture, on ne peut rien promettre. Avec certains consommateurs, parfois, on ne parvient qu’à 3 % d’économies de factures, donc ce n’est finalement pas pertinent s’il y a des démarches administratives derrière. »

 

Enfin, une vigilance s’impose sur les éléments du discours commercial. En effet, le plus tôt possible, il faut être précis sur le prix de vente de l’électricité annoncé aux consommateurs. C’est un nombre qui sera retenu longtemps, et toute incohérence ou révision peut abîmer la confiance. Alors pour déterminer le prix de vente d’électricité idéale pour votre projet, il est recommandé de réaliser une étude avec un bureau d’études spécialisé en autoconsommation collective.

Enedis développe des outils simplifiant le recrutement en autoconsommation collective

Enedis, en tant que Gestionnaire du réseau de distribution d’électricité (GRD), ne recrute pas des consommateurs ni ne conseille sur la structuration des projets d’autoconsommation collective. Mais l’entreprise joue un rôle essentiel de facilitateur, en effectuant un travail de pédagogie pour contribuer à l’acculturation des acteurs et en développant de nouveaux outils. Comme l’explique Sylvie Maurand d’Enedis : « Chez Enedis, nous avons créé des pages internet dédiées, des guides pratiques, ainsi que des vidéos pédagogiques et des témoignages avec des particuliers et des entreprises participantes. Il y a aussi des interlocuteurs Enedis formés à l’autoconsommation collective qui peuvent intervenir localement pour faire de la pédagogie. »

 

Côté outils techniques, l’un des défis majeurs pour les porteurs de projet est d’accéder aux courbes de charge des consommateurs. Les compteurs communicants Linky permettent d’accéder à ces courbes, mais le consentement explicite des consommateurs est nécessaire. « Pour répondre à cette difficulté, nous développons une nouvelle solution en Open Service basée sur de l’intelligence artificielle, qui permet de reconstituer des courbes de charge simulée de consommateurs selon certains critères », annonce Sylvie Maurand. Cette solution permettra de réaliser plus facilement et rapidement des études d’opportunités d’autoconsommation collective, afin de faciliter le cadrage du recrutement pour des porteurs de projet et d’engager les participants.

Échanges avec le public : 3 questions sur le recrutement en autoconsommation collective

Comment démystifier ceux qui disent que ce n’est pas vraiment l’électron de l’autoconsommation collective qui nous alimente ?

Comme le rappelle Arthur Jouannic, il faut faire la distinction entre les flux physiques et les flux économiques. Ce sont les économies concrètes sur la facture d’électricité qui parlent aux consommateurs. L’argument seul du développement des énergies renouvelables sur le territoire n’est généralement pas convaincant.

 

Ensuite, il est aussi possible de défendre un argument technique. L’autoconsommation collective a une cohérence énergétique dûe à la temporalité de répartition (toutes les 15 minutes) et à la proximité géographique entre les producteurs et les consommateurs. Ainsi, il est plus probable que l’énergie consommée provienne bien de la production locale, même si elle n’est pas traçable électron par électron.

Est-il possible d’avoir des prix différenciés entre consommateurs sur une même opération ?

Oui, à condition de pouvoir justifier ces différences. Une collectivité qui s’engage sur le long terme peut, par exemple, bénéficier d’un tarif plus avantageux. Il est aussi possible d’appliquer une logique de priorité : les consommateurs payant un tarif plus élevé peuvent bénéficier d’une priorité sur les volumes autoconsommés.

Est-ce que vous rencontrez des problèmes de recouvrement ?

Hubert Remillieux (ÉnOTéA), rassure : « Il y a très peu de problèmes de recouvrement, et d’autant moins quand on a bien cadré l’autoconsommation collective à la fois via la PMO et via les contrats de vente d’électricité. Les contrats peuvent par exemple mentionner clairement que s’il y n’y a pas de paiement, le consommateur ne fera plus partie de l’opération. Pour sécuriser la facturation, on met en place prioritairement le prélèvement automatique. Certains porteurs de projets optent pour des paiements d’avance ou des garanties financières, mais attention : ces dispositifs peuvent représenter un frein à l’entrée pour les consommateurs. »

Conclusion

Lors de cette table ronde, les experts du recrutement en autoconsommation collective nous ont livré leurs meilleurs conseils. Déjà, il est préférable d’amorcer le recrutement dès la phase d’étude du projet, c’est-à-dire plusieurs mois avant le lancement prévu de l’opération. Selon le profil de consommateurs que l’on souhaite recruter, les arguments avancés seront différents. Les particuliers seront plutôt intéressés par l’ancrage local, et les entreprises par la maîtrise de leurs factures ou par l’engagement RSE. Dans tous les cas, il est essentiel de rester sincère, transparent et agréable et de ne pas faire de fausses promesses (notamment sur les économies de factures potentielles). Organiser des réunions d’informations pour répondre aux questions des consommateurs intéressés est très efficace. Puis, une fois l’opération lancée, le bouche-à-oreille peut assurer un recrutement progressif, sur le temps long.

 

Le recrutement en autoconsommation collective repose donc à la fois sur une bonne anticipation et une pédagogie adaptée aux différents interlocuteurs. Aujourd’hui, la phase du recrutement représente un nouveau défi pour les porteurs de projet qui doivent monter en compétences, alors que les projets gagnent en puissance. Mais l’écosystème se structure progressivement : les pratiques se professionnalisent, les retours d’expérience permettent d’identifier ce qui fonctionne, et de nouveaux outils dédiés ont été développés pour simplifier le recrutement.