Le mardi 24 juin 2025, Enogrid a réuni les représentants des filières photovoltaïque, éolienne et hydroélectrique, autour d’une table ronde consacrée à la place de l’autoconsommation collective (ACC) dans une filière en transition. En 1 an, le cadre réglementaire a beaucoup évolué. Qu’en pensent les représentants des énergies renouvelable ? Comment faire en sorte que chaque filière s’approprie pleinement le modèle ?
Depuis son apparition dans le droit en 2016, l’autoconsommation collective est régulièrement simplifiée, et la filière s’organise pour assimiler les dernières évolutions réglementaires. Mais à mesure que le modèle gagne en visibilité, les attentes grandissent également.
Par exemple, les périmètres dérogatoires s’assouplissent mais les demandes prennent plusieurs mois à être traitées : « Les délais sont assez longs, surtout en ce moment car les demandes sont traitées par la DGEC qui a peu de bande passante avec les Appels d’Offres Simplifiés. Le service concerné traite les demandes déposées en février alors que nous sommes en juin. » prévient Coralie de la Fonchais, avocate spécialiste du droit de l’énergie au cabinet Adaltys. Une simplification ou une automatisation de la procédure est évoquée comme une solution potentielle.
À cela s’ajoute la contrainte causée par le fonctionnement des périmètres : « Avec une dérogation à 20 km, il n’est pas possible d’aller chercher des consommateurs dans des zones très urbanisées. Or, ces milieux urbains ont souvent des contraintes réglementaires freinant l’installation de panneaux photovoltaïques ». Un assouplissement des règles de périmètre, par exemple en autorisant un cercle plein, pourrait favoriser le développement de projet, tout en maintenant la dimension locale essentielle à l’ACC.
Lors de cette journée, de nombreux porteurs de projets souhaitaient aussi être informés sur le passage de l’accise à 0 €, une évolution qui simplifierait le recrutement de consommateurs mais tarde à être appliquée. La Direction générale des finances publiques (DGFiP) a surpris la filière en conditionnant l’accise à 0 € à une connexion directe entre production et consommation – une configuration propre à l’autoconsommation individuelle. Une lecture jugée contraire à l’esprit du texte par plusieurs experts. Enerplan, avec le soutien du SER, a adressé un recours gracieux à l’administration, toujours en attente de réponse.
L’autoconsommation collective a récemment franchi le cap des 1 000 opérations actives, et plus de 1 300 projets sont en cours de développement. Le nombre d’opérations actives double chaque année, signe que le modèle séduit un nombre croissant d’acteurs.
Les projets étaient initialement portés par les collectivités et les bailleurs sociaux, mais ils intéressent désormais une plus grande diversité d’acteurs. « Aujourd’hui, on voit surtout des opérations où un producteur vend son électricité à des consommateurs particuliers ou professionnels », observe Titouan Cavan, d’Enogrid. Le modèle intéresse de plus en plus les développeurs d’énergies renouvelables, ce qui entraîne une augmentation de la puissance moyenne des opérations. Les entreprises, intéressée tant par la sécurisation de leurs factures que par les opportunités en matière de responsabilité sociétale (RSE), rejoignent également le mouvement. Le modèle suscite ainsi un intérêt croissant dans le tissu économique local, au-delà des acteurs institutionnels.
Mais l’ambition à long terme reste de démocratiser l’autoconsommation collective et d’en faire un levier accessible au plus grand nombre. « On peut espérer qu’un jour il y aura beaucoup de projets portés par des particuliers. L’année dernière il y avait 200 000 autoconsommateurs individuels, et beaucoup vont basculer en autoconsommation collective. À ce rythme, nous pourrions atteindre 4 millions d’autoconsommateurs collectifs d’ici à 2030 » pronostique Laetitia Brottier, vice-présidente d’Enerplan.
La baisse du S21 sur le petit et moyen solaire inquiète certains, mais elle est perçue par d’autres comme un signal positif. « Aujourd’hui, l’autoconsommation collective est rentable, même sans aides étatiques. On est très contents d’avoir eu un filet de sécurité qui a permis de lancer la filière. Et c’est difficile de sortir d’un milieu très sécurisant à un qui l’est un peu moins. Maintenant la priorité, c’est que les financeurs comprennent le modèle et fassent confiance aux producteurs », explique Titouan Cavan d’Enogrid, qui l’évoquait déjà dans une tribune publiée en mars 2025.
Laetitia Brottier rappelle la dimension de l’autoconsommation collective, qui est une source de stabilité pour des producteurs d’énergies renouvelables : « Ce sont des initiatives locales avec une vision citoyenne, quartier par quartier. Cela ne nous empêche pas d’être une filière mature – on le voit car le nombre d’opérations double chaque année. Nos développeurs regardent l’ACC comme un vrai relais de stabilité face à l’instabilité. »
Si l’autoconsommation collective concerne aujourd’hui majoritairement des installations photovoltaïques (près de 90 % des projets), les projets avec de l’hydroélectricité sont de plus en plus nombreux. Et pour cause : elle présente de nombreux atouts techniques, territoriaux et énergétiques.
Xavier Casiot, Président de France Hydro Électricité, témoigne de la renaissance d’une centrale hydroélectrique : « Elle était là depuis 140 ans, mais on ne savait plus vraiment à quoi elle servait, alors qu’elle produisait tout de même 6 000 MWh par an. L’autoconsommation collective a permis de la relancer et au village de se la réapproprier ».
L’hydroélectricité est parfaitement adaptée à l’autoconsommation collective. Elle l’est d’abord sur le plan technique, car la courbe de charge est très stable et prévisible, donc en termes de gestion de portefeuille, c’est très facilitant. De plus, les centrales sont généralement là où il y a de la chute et de l’eau, donc au cœur des villages.
Sur la partie réseau, l’hydroélectricité permet un équilibre et des échanges forts entre production et consommation. Si la production est consommée sur place, c’est autant d’électricité qui ne remonte pas sur le réseau de transport, évitant ainsi les effets de saturation du système électrique. Il y a donc une réelle opportunité à connecter les consommateurs à une production hydroélectrique de proximité, dans une logique d’intelligence énergétique et territoriale.
Les projets sont source de résilience économique pour les territoires, mais aussi créateurs de liens sociaux. En plus de responsabiliser les participants sur leur consommation d’électricité, ils peuvent être à l’origine de nouvelles formes de solidarité.
Par exemple, le réseau des AMEP (Association pour la Mutualisation d’une Énergie de Proximité) s’adresse aux particuliers. Via l’autoconsommation collective, les petits producteurs d’électricité (généralement, des particuliers avec du photovoltaïque en toiture) sont encouragés à faire don de leur surplus à leurs voisins. En 2025, plus de 15 AMEP étaient opérationnelles et près de 30 sont en phase de projets.
L’association Sol Solidaire finance l’installation de panneaux photovoltaïques pour les bailleurs sociaux qui s’engagent à faire du don d’électricité à leurs locataires. Les factures des locataires sont réduites en moyenne de 200€ par foyer et par an. Pour soutenir les activités de cette association, il est possible de faire un don déductible fiscalement.
Ces initiatives ne sont pas la majorité des projets, mais elles montrent que c’est un modèle qui permet de créer des nouveaux liens, basés sur la solidarité.
L’autoconsommation collective constitue également un formidable outil de sensibilisation. En consommant une électricité produite localement, avec un vrai impact sur ses factures, les participants prennent conscience des liens concrets entre production et usage. Cela transforme notre relation à l’électricité : le geste banal d’allumer une lumière prend une nouvelle signification. « On passe d’un consommateur classique à un éclairé. Il challenge sa facture et ses consommations. C’est un changement comportemental qui permettra aussi d’aller dans la bonne direction de la sobriété. » explique Xavier Casiot, Président de France Hydro Électricité.
Ainsi, l’autoconsommation collective allie à la fois solidarités et sobriétés énergétiques. Les projets permettent de remettre la transition énergétique à l’échelle locale. Ils sont de belles aventures humaines qu’on a envie de raconter. « Les projets d’autoconsommation collective sont parmi les meilleurs ambassadeurs de la transition énergétique. » conclut Laetitia Brottier, Vice-présidente d’Enerplan.
L’intégration de batteries dans les projets d’autoconsommation collective soulève plusieurs interrogations. Bien que leur prix baisse, leur pertinence reste limitée. « En autoconsommation collective, l’objectif est d’éviter les surplus grâce à un bon foisonnement des profils de consommation », rappelle Titouan Cavan, d’Enogrid.
En d’autres termes, c’est la diversité des usages – résidentiels, tertiaires, industriels – qui permet d’absorber en temps réel la production, sans recourir au stockage. C’est dans cette logique que le bureau d’étude d’Enogrid étudie les projets : l’objectif est d’atteindre des taux d’autoconsommation supérieurs à 80 %, rendant les batteries superflues. Et malgré la baisse des prix, l’installation d’un système de stockage reste un investissement. « La vraie question est de savoir si on préfère ajouter ce coût ou plutôt recruter pour avoir un beau foisonnement de consommation ? ».
De plus, des freins juridiques persistes, comme la qualification des batteries comme producteurs, ou la taxation si elle consomme une électricité autre que celle produite localement. Des perspectives plus intéressantes émergent des discussions, notamment à propos de la mobilité électrique : « On espère que les futures batteries des projets seront… sur roues ! », plaisante Laetitia Brottier. « Avec l’électrification des usages et le développement de la mobilité électrique, on aura tout à y gagner à les intégrer aux opérations existantes ».
Durant cette table ronde, les participants ont partagé un constat : la filière est mature, les progrès réglementaires sont réels, mais la complexité des démarches, les délais administratifs, et certaines interprétations restrictives viennent encore freiner l’essor du modèle. Les discussions ont permis d’identifier des leviers concrets d’amélioration : automatisation des dérogations, clarification de l’accise à 0 €, ou encore assouplissement des périmètres.
L’avenir du modèle se jouera aussi dans sa capacité à rester fidèle à ses fondements : une énergie d’origine renouvelable, à l’échelle locale. En redonnant une valeur tangible à l’électricité, en tissant des liens entre producteurs et consommateurs, et en accompagnant les usages vers plus de sobriété, l’autoconsommation collective propose bien plus qu’un modèle énergétique.
Face à l’instabilité du marché de l’électricité et la baisse annoncée des aides de l’État, l’autoconsommation collective est même devenue une source de résilience. Pour qu’elle tienne toutes ses promesses, il reste à libérer son potentiel, et à accompagner les acteurs qui, chaque jour, prouvent qu’un autre modèle énergétique est possible.